Adaptation théâtrale librement inspirée
du chef d'oeuvre de Tirso de Molina :
« Le trompeur de Séville et l’invité de pierre »
Mise en scène de Fidel Pastor Sanz
Gloire à Don Juan d'avoir un jour souri à celle
à qui les autres n'attachaient aucun prix !
1er ACTE :
Don Juan se déguise en Octavio, pour séduire Isabela.
Celle-ci ne reconnaît pas son amant et alerte le roi par ses cris.
Le roi confie l’affaire à l’ambassadeur d’Espagne, qui est aussi l’oncle de Don Juan.
Ce dernier profite de la clémence de son oncle pour se sauver. Il quitte l’Italie pour l’Espagne.
2e ACTE :
Accompagné de son valet Lazare, Don Juan fait naufrage et échoue sur une plage à Tarragone où la jeune pêcheuse Tisbea le recueille.
Don Juan parvient à la séduire et lui promet le mariage avant de s’enfuir pour Séville.
Arrivé à Séville, il retrouve son ami, le marquis de la Mota.
Il intercepte un billet adressé au marquis de la part de sa fiancée Doña Ana de Ulloa.
Ainsi, Don Juan va au rendez-vous à la place de son ami.
Cependant, Ana devine qu’il ne s’agit pas de son fiancé, elle alerte donc son père, le Commandeur.
Don Juan et lui se battent en duel, Don Juan tue le Commandeur et s’enfuit.
3e ACTE :
Dans le village de Dos Hermanas, Don Juan s’invite aux noces de Batricio et Aminta. Il se débarrasse du fiancé et parvient à séduire la jeune fille en lui promettant le mariage.
Il s’enfuit de nouveau et retourne à Séville. Il va dans l’église où le Commandeur est enterré.
La statue du défunt l’invite à dîner, Don Juan accepte.
À la fin du repas, le Commandeur fait entrer Don Juan dans son tombeau et lui donne la main.
Il lui transmet ainsi le feu infernal et tue Don Juan.
La scène ultime réunit tous les personnages abusés par Don Juan auprès du Roi, dans l’Alacazar de Séville. Ils demandent justice.
Notre pièce de théâtre est une adaptation libre de la célèbre comédie dramatique de Tirso de Molina, «El burlador de Sevilla y Convidado de Piedra» (l’abuseur de Séville et le convive de Pierre) parut en 1630.
Cette première création du mythe de Don Juan développe toutes les caractéristiques du personnage et notre version s’agrémente de plusieurs emprunts à d’autres auteurs.
Cette pièce sur Don Juan est beaucoup moins mise en scène et jouée en France que celle de Molière et le protagoniste y est incarné en jeune homme entrainé par ses pulsions amoureuses dans la recherche du plaisir immédiat et de nouvelles conquêtes. Il séduit toutes les femmes, avec succès, alors qu’il est d’âge mûr chez Molière, plus cérébral et se confronte à quelques échecs.
L’auteur espagnol ne s’embarrasse pas de bavardage psychologique et reste concentré dans l’action, le comportement des personnages.
Cette forme théâtrale permettra plus de liberté sur le plan de la création et dans l’approche du jeu des comédiens. Les interprètes devront construire leurs rôles en les nourrissant d’intentions, de motivations et d’émotions.
Nous souhaitons dans ce nouveau projet de notre compagnie mettre en perspective le personnage du valet de Don Juan qui est le deuxième protagoniste de l’histoire et qui constitue son double avec une morale et une conscience. Ensuite, nous désirons mettre en relief les femmes séduites par Don Juan qui ne sont pas des «potiches», bien au contraire. Elles se montrent très déterminées et pas du tout passives.
L'œuvre définit Don Juan comme un personnage qui défie les autorités et la société de son temps en refusant de se soumettre aux codes moraux qui sévissent alors et en remettant à plus tard sa repentance Personnage empli d’une sensualité exaltée, peu intéressé par la religion, il pourchasse, aime et trompe de nombreuses femmes avant de périr dans les flammes de l’enfer.
Il symbolise un déchainement érotique qui s’oppose au discours galant de l’amoureux transi, comme Tristan avec Iseut.
Don Juan représente la toute-puissance de l’homme face non seulement à toute oppression, mais plus encore face à toute forme d’autorité, qu’elle soit spirituelle ou sociale. En ce sens, le personnage est tout à fait semblable à nombre d’individus de notre époque contemporaine. Il s’oppose naturellement (et inconsciemment) aux devoirs qu’impose la vie sociale et place l’individu au-dessus du général, de la société.
Que ce soit un moine qui a posé la première pierre du mythe de Don Juan reste très mystérieux. Durant le siècle d’or espagnol, la Reconquista est achevée, et s’il y avait eu encore la guerre contre les Maures, peut-être Don Juan aurait été le Cid. Pour la génération du Siècle d’Or finissant, il n’y a plus de territoires de prouesses. Il ne reste plus que les femmes à conquérir : Don Juan serait-il un conquistador ? Tout est tenu dans un rapport au temps : « J’ai le temps ». Le Burlador de Tirso gaspille le temps sans penser à la mort : « Oh ! l’échéance est si lointaine ! » Il s'avère impie et non athée. C’est le seul Don Juan qui au moment de mourir demande à se confesser.
Dans le Burlador, tout semble trahison et infidélité, et la pièce met en accusation toute la société. Les femmes ne valent pas mieux que ceux qui les prennent la nuit.
La lâcheté règne partout : celle d’un père et d’un mari, dans le monde paysan, qui veulent donner la fille à un noble, favori du Roi. Les filles ne sont pas mieux : Thisbé se prend pour une femme fatale et Aminta, le jour de ses noces, en un clin d’œil, se tourne vers Don Juan !
En ce qui concerne l’assassinat du Commandeur, Tirso de Molina s’est inspiré d’une fable qui courait dans la ville, au sujet du mausolée d’un Commandeur tué par un certain Don Juan Tenorio, qui multipliait les aventures et les transgressions. Ce dernier aurait été assassiné et les moines auraient porté le corps devant la tombe du Commandeur pour faire croire à la vengeance divine. Le mythe va engloutir le fait divers. L’apparition du mort et le dîner macabre ne sont pas étonnants dans l’Europe médiévale. Et Shakespeare n’est pas loin, on se retrouve dans les sorcières de Macbeth, avec les plats offerts à Don Juan par le Commandeur dans cette terrible église. On retrouve cette atmosphère grand-guignolesque qui fait peur.
Ce qui semble important dans le Burlador c’est le manque de psychologie, il y a des actions, des pulsions, de l’instinct, de l’intelligence, mais pas de psychologie. Le Burlador, « celui qui abuse », prend comme un compliment qu’on le traite de « plus grand moqueur d’Espagne ». La moquerie c’est abuser quelqu’un et en même temps lui ôter ses illusions. Ce jeu nous mène vers la fin de la désillusion et le grand mouvement du désenchantement qui suit le Siècle d’Or. On entre dans Don Juan par cette question du désœuvrement de la jeunesse. Privée de destin, la jeunesse dorée s’abîme dans le libertinage. Ce n’est pas seulement la femme comme un équivalent de conquête qu’il y a en arrière-plan. Il s’agit aussi de la manifestation désabusée, révoltée, de son propre désœuvrement. La femme chez Don Juan lui permet de déstabiliser, indirectement, tout un édifice patriarcal qu’il rend responsable de son mal-être.
Au fond, le Don Juan est une pièce sans exemple à suivre, peut-être dans la force de la famille, dans la façon dont l’oncle sauve son neveu ou celle dont le père est ulcéré par les exactions de son fils.
Le séducteur mythique sera repris et recréé par de nombreux écrivains, dont Molière, Lorenzo Da Ponte (auteur du livret Don Giovanni pour Mozart), Byron, Hoffmann, Musset, Mérimée et Dumas et bien d’autres. À la différence des mythes antiques issus de la mythologie, Don Juan est un mythe moderne. Au-delà des variantes, on retrouve chez tous les auteurs les constantes du mythe : Don Juan est un séducteur de la haute société, l’élite sociale, qui multiplie les conquêtes féminines. Il incarne l’homme de la démesure, l’individu qui défie la morale et la religion. Il se heurte à la présence du Sacré, incarné par la statue du Commandeur. Les raisons de la fascination à son égard sont nombreuses, car au-delà de son cynisme et de son attitude méprisante, Don Juan séduit par la révolte qu’il incarne et le défi qu’il lance à l’autorité divine et à l’ordre social. Mais il inquiète aussi par sa mort, souvent spectaculaire, qui le précipite dans l’Enfer. Il se rattache aux figures de Faust et de Prométhée, qui défient les dieux et la condition mortelle de l’homme.
Le précurseur, Tirso de Molina ouvre la voie aux réécritures qui décrivent un séducteur cynique qui vit dans l’instant présent et refuse de se soumettre aux codes de la société et de la religion. La pièce de Molière (Dom Juan ou le Festin de Pierre, 1665) se place entre baroque et classicisme. Molière s’empare d’un sujet à la mode dans le répertoire théâtral. La pérennité de sa pièce s’explique par son ambiguïté.
En effet, si le dénouement condamne Dom Juan aux Enfers, l’audace du personnage, son brio, sa revendication de la liberté et son esprit critique exercent une fascination pour ce «grand seigneur, méchant homme».
Au XVIIIe siècle, l’opéra s’empare du mythe. L’opéra de Mozart (réalisé à partir du livret de Da Ponte) mêle la légèreté à l’aspect spectaculaire du châtiment final qui précipite Don Giovanni dans les flammes de l’Enfer.
Reprise du mythe par les romantiques pour qui la fascination l’emporte sur la condamnation : les romantiques voient en Don Juan un double insatisfait et mélancolique. Ses multiples conquêtes ne sont que la traduction d’une quête de la femme idéale. Le personnage est moins cynique et va même chez certains auteurs jusqu’à se repentir de sa conduite passée.
Dans les reprises au XXe siècle, on découvre un Don Juan vieillissant : chez Montherlant, dans La Mort qui fait le trottoir (1958) et Schmitt dans La Nuit de Valognes (1991) renouvelle l’image de Don Juan en expliquant le personnage par le biais d’une homosexualité refoulée.